Mystique

Dans un sourire extatique, il parle de dieux et de diables, d’anges et de démons.
Sa voix se fait rêveuse, perdue dans des limbes imaginaires habités de personnages fantastiques. Son identité s’y dilue, perdant en substance ce qu’elle gagne en ampleur.

Le voici qui tend le bras et combat un ennemi invisible : il est Gilgamesh, le roi d’Uruk !
Il s’écroule au sol et se relève dans un rire sonore, se moquant de la mort tel Tirésias aux sept vies.
Dieu lui parle et le diable l’écoute, dans un dialogue intime qui le plonge dans la grâce.

Il virevolte dans la pièce, bénit cette personne qui passe, en baptise une autre, puis une autre encore, avant de parler du paradis et des enfers. Des maleboges de Dante à la main vigilante du Bouddha, son délire franchit les cultures et les civilisations, dans des fulgurances fascinantes.

Ses yeux se révulsent et il se tait, perdu dans l’écoute de dimensions qui n’appartiennent qu’à lui, avant de quitter la pièce en toute hâte, investi d’une mission qu’il est le seul à pouvoir remplir.

Le délire mystique donne des ailes à l’imagination et lui ôte les entraves de la raison. La voix ne s’écoule plus à la manière d’un fleuve ou d’un torrent : elle se fait cascade et geyser, jaillissant avec la force et la puissance héritées d’un esprit exalté par l’idée du divin.

La joie ressentie est féroce, mais la peur est terrible : il expérimente une souffrance qui le dépasse et l’amène à évoquer toutes ces figures de légende. À travers elles, il tente de montrer ce qu’aucun mot ne saurait décrire, ce qu’aucune image ne pourrait illustrer : la disparition des limites et l’évaporation de soi. 

Il se perd au sein d’un imaginaire collectif servant depuis des millénaires à donner forme au chaos du monde, comme pour tenter de maîtriser le sien.

La voix mystique, celle d’un esprit dévoré par l’absolu, n’est pas exaltée. Elle irradie d’une force non pas stupéfiante mais stupéfaite par l’éclatement de toutes les réalités de l’être.